Des parents d’élèves portent plainte contre la propagande religieuse à l’école.
Notre journal a appris qu’un groupe de parents d’élèves de l’école N2065 de la capitale avait déposé sur le bureau du procureur général une plainte contre le Département de l’Éducation auquel ils reprochent d' »imposer une idéologie religieuse ». Les parents d’élèves considèrent que la matière intitulée « Origines », enseignée dans 62 régions du pays, est une « manipulation antiscientifique »et une « pression exercée sur le psychisme des enfants ». Les auteurs de la démarche soulignent que ce cours qui a un fort contenu religieux est « obligatoire pour tous les élèves, parmi lesquels il y a aussi des musulmans, des juifs et des catholiques« .
Les services administratifs de la capitale répliquent de leur côté qu’il s’agit d’une matière non-religieuse et que les cours sont facultatifs.
Depuis le 1erseptembre 2015, le Ministère de l’éducation et des sciences a introduit dans la partie obligatoire du programme des classes de la 6eme à la 3eme un cours sur les « Racines culturelles et spirituelles des peuples de la Russie »(RCSPR). A l’époque, le Département de l’éducation de Moscou avait introduit cet enseignement à titre expérimental dans 40 écoles de la capitale à raison d’une heure obligatoire par semaine. Il avait laissé aux parents des élèves de 6ème le soin de choisir entre deux manuels recommandés par ses soins, l’un intitulé « Culture orthodoxe » et l’autre « Origines ». Actuellement, le manuel « Origines » est utilisé dans les écoles de 62 régions du pays.
En novembre 2016, le Vice-gouverneur de l’oblast de Vologda, Alekseï Cherlygine, a annoncé que les autorités de sa région allaient demander au Ministère de l’éducation et des sciences de généraliser ces cours à l’ensemble du pays. Mais la première tentative du Département de l’éducation pour introduire ce cours dans une école de Moscou dont les élèves appartenaient à des religions différentes s’est soldée par l’envoi au Parquet d’une pétition signée par l’ensemble des parents d’élèves, qu’ils soient chrétiens, musulmans, juifs ou athées.
« On nous avait parlé de cette expérience, en septembre, lors d’une réunion de parents d’élèves, », nous a dit la mère d’un élève de l’école N2065, Inna Guérassimova, mais il n’était pas question de choix : on nous a dit que tous les élèves de 6ème devraient suivre le cours sur les « Origines » une fois par semaine et qu’il n’était pas possible de refuser ». Madame Guérassimova a ouvert le manuel de cette matière qu’elle ne connaissait pas et, dit-elle, » ça m’a fait un choc ! ». « Il y est constamment question de forces impures, d’eau bénite, d’anges gardiens, on y décrit le plus sérieusement du monde des miracles qui se produisent grâce aux icônes« , raconte-t-elle. Inna Guérassimova a relevé dans le manuel toutes les affirmations qui lui paraissaient douteuses et les a publiées sur le « chat » des parents d’élèves. « Personnellement, je suis athée, dit-elle, mais des croyants aussi ont exprimé leur mécontentement. Dans notre classe, la moitié des enfants viennent de familles musulmanes, c’est le Moscou d’aujourd’hui ! Il y a aussi des familles juives, catholiques, adventistes. Mais des parents orthodoxes eux-mêmes ont protesté contre cette façon non-dissimulée de vouloir imposer aux autres leur religion ».
Les cours » Origines « et « Racines socio-culturelles » ont été élaborés au début des années 2000 sous l’égide de l’ARSC (Académie Nationale de Sciences Naturelles, une organisation qui n’a pas de rapport avec l’Académie des sciences de Russie et est souvent critiquée par les scientifiques). Il existe une collection complète de manuels qui commence par des petites brochures pour le jardin d’enfants, couvre ensuite toutes les classes du CP à la 1ere et se termine par des livres destinés à l’université. Leurs auteurs sont Igor Kouzmine, membre-correspondant de l’ARSC et directeur des éditions « Origines », et Alexandre Kamkine, membre-correspondant de l’ARSC, professeur à l’Université pédagogique de Vologda. Selon le site kartoteka.ru, la vente de ces manuels a rapporté en 2011-2016 aux éditions « Origines »environ 22, 5 millions de roubles.
Madame Guerassimova a adressé sa plainte au Département de l’éducation de la ville, lequel a transmis la lettre à la direction de l’école. Le directeur a convoqué les parents à l’école pour expliquer qu’il n’avait pas le droit de refuser cet enseignement, car il s’agissait d’une initiative du Département de l’éducation. « Nous avons fini par trouver un accord, nous a dit Mme Guerassimova : la matière était maintenue, mais l’école s’engageait à reprendre les manuels de la collection « Origines » et à donner un tour non-confessionnel au cours. Mais quelques jours après, à une assemblée des parents d’élèves, on nous a expliqué que rien ne changerait et que le maximum que l’on pourrait faire serait de reprendre les manuels à ceux à qui ils ne plaisent pas ». Lors de cette assemblée, les 24 parents présents ont tous signé une pétition adressée au procureur de la ville.
« J’ai une petite formation juridique, quelques notions acquises au cours de ma vie, explique Inna Guerassimova, et j’ai parlé aux autres parents de la Constitution où il est dit clairement que les associations religieuses sont séparées de l’État. Je leur ai montré la loi « Sur la liberté de conscience »qui dit qu’il est interdit d’enseigner aux enfants une religion contre leur volonté et sans l’accord des parents. Tous ont convenu que de telles expériences constituent une violation de la loi ». Le 28 octobre, la pétition a été envoyée au procureur de Moscou qui l’a transmise au Département de l’éducation. Les parents ont ensuite adressé une plainte circonstanciée au Parquet.
« Sur 126 pages du livre, le mot « Dieu« est mentionné 60 fois, « icône » 66 fois, « miracles » 20 fois, « prière » 26 fois, « croix » 31 fois, « église » 83 fois, « ange » 31 fois », ont scrupuleusement noté les parents. « Dans la mesure où sur un nombre significatif de points, les dogmes de la religion ne concordent pas avec les conceptions du monde de la science contemporaine, nous nous verrons contraints de critiquer régulièrement les positions du manuel et les thèses du professeur, ce qui ne sera pas sans conséquences fâcheuses pour l’autorité du processus pédagogique dans son ensemble », écrivent les parents dans leur plainte. « Nous considérons comme absolument inadmissible d’utiliser l’autorité de l’école à des fins de propagande religieuse ». En même temps, les parents ont demandé de vérifier s’il n’y avait pas un élément de corruption dans le choix par les fonctionnaires de la ville des manuels de la collection « Origines ».
Au Département de l’Éducation de Moscou, on nous a déclaré que les « Racines culturelles et spirituelles des peuples de Russie » n’impliquaient pas la « participation à une pratique religieuse ni l’enseignement des rites de quelque confession religieuse que ce soit ». Les fonctionnaires nous ont affirmé que les manuels « Origines »et « Culture orthodoxe » avaient été choisis par des « collectifs de pédagogues » au terme de plusieurs réunions et que les opinions des parents avaient été prises en compte. Quant aux écoles, « elles avaient pris la décision d’introduire les cours sur les Origines »et la « Culture orthodoxe » après concertation avec l’ensemble des parents ». Nos interlocuteurs ont néanmoins admis qu’outre ces cours, les parents avaient le droit de demander d’introduire la thématique des racines culturelles et spirituelles des peuples de Russie dans les cours d’histoire, de sciences sociales, de littérature, de musique et d’arts plastiques. Ils peuvent aussi, s’ils le veulent, « se limiter à des visites de musées historiques et à des concerts de musiciens russes ».
Auteur: Aleksandre Tchernykh.
Traduit du russe par Jacques Duvernet.
Source: « Генпрокуратура припадет к « Истокам » ».
Publié dans Kommersant le 09 décembre 2016.
Source Photo: Wikipédia.