Le gaz : un luxe encore inabordable au 21ème siècle

Des centaines de kilomètres de gazoducs recouvrent le vaste territoire de la Russie mais une grande partie de la « richesse nationale » passe à côté des villages russes pour desservir les foyers européens et ceux de nos autres voisins. Pour les habitants de la Russie profonde, l’or bleu reste encore un luxe inabordable.

DE LA JOIE EN BOUTEILLES

Un réseau de gaz, les habitants de Kopkin n’en rêvent même pas. Pourtant, ils en ont reçu la promesse plus d’une fois ; un jour, le gaz parviendra aussi jusqu’à chez eux. Mais les habitants ne croient plus tellement aux promesses. D’ici là, leur village aura peut-être disparu de la carte.

Et quand bien même le combustible parviendrait-il jusqu’au village, qui pourrait donc se permettre de dépenser une somme inconcevable pour s’y raccorder ? A Khaldi par exemple (un autre village du raïon), les habitants ont désormais accès au gaz. Mais là-bas, sur les 130 foyers, seuls 13 ont pu s’y brancher, faute de moyens.

Il n’y a pas si longtemps, les villageois avaient encore de quoi se réjouir : le gaz en bouteilles. C’est pratique et pas si cher. En moyenne, il suffit d’une bouteille pour trois mois.

Toutefois, depuis l’an dernier, même cette petite joie leur a été supprimée : car plus personne ne livre de gaz à Kopki. Désormais, les habitants s’en procurent comme ils le peuvent. Ceux qui disposent d’un moyen de locomotion rapportent des bouteilles depuis Selty, Ouva ou même depuis Ijevsk. Les plus démunis, quant à eux, demandent aux proches de leur en rapporter.

-« Encore heureux que je connaisse du monde et que mes amis soient là. Je n’ai qu’à demander et on m’en apporte, raconte Tamara Boulatova, habitante de Kopki. Mais comment font ceux  qui n’ont personne ? « 

Tamara Vladimirovna se souvient très bien de l’époque où les bouteilles de gaz sont arrivées à Kopki.  Les gens ont commencé à installer des gazinières dans les années 80. Un point d’approvisionnement ainsi qu’un service de maintenance spécialisé ont vu le jour dans le village. Les gens ont vite apprécié les avantages du gaz.

« Pendant quelques temps, grâce à l’un de nos ouvriers, Valentin Nagovitsyne, nous vivions comme des coqs en pâte, se souvient Tamara Vladimirovna. Il avait toujours des bouteilles en réserve. Il s’occupait même de l’entretien de nos gazinières. Au moindre petit problème, c’est à lui qu’on s’adressait. Alors il venait et réparait s’il le fallait. »

Quelques années plus tard, le dépôt  de gaz a été fermé et le salaire de l’ouvrier a baissé. Mais l’or bleu n’a pas complètement disparu du village ; un camion venait y livrer des bouteilles.

OU DISPARAISSENT LES BIENFAITS DE LA CIVILISATION ?

« Nous avons vécu ainsi  jusqu’en 2015 : le conseil rural prenait les commandes en fonction de ce qui avait été convenu et les bouteilles nous étaient livrées à Kopki. Bien sûr, c’était moins bien que lorsque le village avait son propre stock, mais les gens étaient quand même contents.

« L’année dernière, un nouveau fournisseur est apparu. Il s’est installé à Selty et trouve non rentable de livrer le gaz à 30 kilomètres de là (c’est la distance exacte jusqu’à Kopki), ce qui fait que c’est nous qui nous déplaçons. »

Le problème du gaz est devenu un véritable casse-tête pour le maire de Kopki, Valentin Alexandrovitch Driakhlov. Chaque jour ou presque,  ses administrés lui demandent de le régler. Il fait tout son possible. Ainsi, en mai dernier, il a passé un accord avec des fournisseurs de Balezino. Lesquels ont alors apporté le gaz tant attendu. Mais près de la moitié des villageois sont repartis bredouilles. En effet, leurs bonbonnes étaient trop vieilles et les fournisseurs avaient refusé de les leur reprendre.

« Comment les gens peuvent-ils savoir si leur bouteille est vieille ou pas ? s’étonne Valentin Alexandrovitch. C’est à un spécialiste de régler ces questions. Or, ici, il n’y en a pas, tout comme il n’y a personne pour s’occuper des gazinières. Résultat : les gens se servent du gaz sans aucun contrôle. « 

-Avez-vous recherché de l’aide quelque part ?

« Je me suis adressé à l’administration locale. Bien évidemment, l’on nous y a promis de nous aider, mais ils ne peuvent pas obliger un fournisseur à nous livrer.

OUBLIÉS, ABANDONNÉS…

Tamara Boulatova fait partie de ceux qui avaient des bouteilles aux anciennes normes…

« Cette bouteille, je l’ai achetée à Ouva. J’en ai une autre en réserve. J’ai demandé aux gars de Belizino de venir chez moi pour y jeter un coup d’œil. Je les ai suppliés, presque les larmes aux yeux, pour qu’ils m’en changent au moins une. »

-Qui s’occupe de la brancher , Tamara Vladimirovna ?

« Je le fais moi-même. Bien sûr, selon les règles, c’est le fournisseur qui livre la bouteille qui doit l’installer. Mais chez nous, cela fait bien longtemps que tout le monde se débrouille. »

-Mais c’est dangereux !

« Que voulez-vous que j’y fasse ? Un jour, j’ai branché une bouteille et mis l’eau à chauffer. L’eau s’est mise à bouillir et j’ai fermé le gaz. Et là, que vois-je ? Le gaz, toujours allumé ! J’approche une allumette, elle s’enflamme. Que faire ? J’appelle le point de vente à Selty. Ces derniers me répondent « Qu’est-ce que l’on peut y faire ? » Alors, j’ai fait appel à Valentin Ivanovitch Nagovitsyne. Il est venu, il a regardé : la bouteille était défectueuse. Heureusement, je m’en étais aperçu. Mais imaginez qu’une bouteille comme ça se retrouve chez une mamie. Un malheur est si vite arrivé. »

A PROPOS :

Quelles sont les priorités ?

La question  du gaz n’est pas le seul problème que rencontrent les habitants de Kopki. L’autre question épineuse qui se pose ici est celle des liaisons interurbaines.  Actuellement, le service de bus ne dessert le village que le lundi et le jeudi. Pour une société de transport, se rendre quotidiennement dans un coin si reculé pour transporter 10-15 personnes n’est pas rentable. En revanche, s’il y avait plus de 25 voyageurs, c’est de bon cœur qu’elle enverrait des bus à Kopki, et serait prête à le faire tous les jours !

Les habitants de Kopki se rendent à Selty surtout pour aller à l’hôpital et au marché.

-« Mais il est quasi  impossible de voir un médecin, dit Tamara Vladimirovna. Les files d’attente, longues d’un demi kilomètre, s’étalent sur trois rangées. Le matin, on arrive à la clinique, on y piétine sur place toute la journée, puis on repart à la maison. Et si on rate le bus du soir, on n’a plus qu’à passer la nuit à l’hôpital. Vous savez, certains villageois se demandent même s’ils ne feraient pas mieux de partir vivre à Selty. Une famille va partir, puis une autre, et le village finira par mourir. »

« Lorsque l’État a transféré une partie des services publics à des acteurs privés, sans doute souhaitait-il améliorer nos conditions de vie. Seulement voilà, après vérification, c’est le contraire qui s’est produit. Malheureusement, pour la plupart des entrepreneurs, c’est le profit engendré par leurs services qui est le plus important. L’intérêt des populations est la dernière de leurs préoccupations. Ne serait-il pas temps de revoir les priorités ? « 


Auteur: Natalia Tioutina.

Traduit du russe par Lilit Tabirian.

Source: « Почему в XXI веке газ остается для многих селян Удмуртии непозволительной роскошью ».

Publié dans Oudmourskaya Pravda le 28 août 2016.

Source Photo: Wikipédia.

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