Les faits

Le 6 septembre, le Parti Communiste de la Fédération de Russie a présenté à la Douma une proposition de loi. Les rédacteurs demandent que « l’outrage aux sentiments des vétérans de la Grande Guerre Patriotique » soit ajouté au Code Pénal.

Quels actes seront passibles d’une peine ?

L’article comprend trois alinéas définissant trois sortes de délits. Contrairement à notre habitude, nous donnons ci-dessous dans son intégralité le texte du premier alinéa qui définit les actes visés:

 » Toute action publique marquant de façon manifeste un manque de respect à l’égard de la société et visant à offenser les sentiment des vétérans de la Grande Guerre Patriotique en déformant délibérement la présentation des faits la concernant (à l’exclusion des cas prévus par l’article 354 du présent Code pénal), ou bien en minimisant ou en rabaissant l’exploit des soldats des forces armées de l’URSS. »

Traduction: toute personne qui aura délibérément et en public, déformé ce qui est connu sur la Grande Guerre Patriotique dans le but d’offenser les vétérans, devra être poursuivie. De même pour toute personne qui aura minimisé ou rabaissé l’exploit des soldats soviétiques. Si l’enquête perçoit dans de tels actes une « réhabilitation du nazisme »(art. 354.1 du Code Pénal), la personne devra être jugée sur la base de l’article correspondant.

Les peines prévues sont les suivantes : jusqu’à 300 000 roubles d’amende ou une amende correspondant à deux années de salaires pour les personnes ne disposant pas d’une telle somme. Peines alternatives : jusqu’à six mois dans une colonie de travaux de redressement ou jusqu’à 240 heures de travail obligatoire.

Vous parlez de trois alinéas. Quels autres actes seront passibles d’une peine ?

Y figurera la dégradation de monuments consacrés à la Grande Guerre Patriotique ne figurant pas sur la liste des monuments historiques protégés (dont la dégradation est déjà passible de sanctions). Peine encourue: jusqu’à un million de roubles d’amende ou, si la personne ne dispose pas d’une telle somme, jusqu’à trois années de salaires ; rééducation, heures obligatoires de travaux d’intérêt collectif.

Et il y a encore un troisième alinéa : si les actes décrits plus haut (outrage aux vétérans ou dégradation de monument) sont accomplis le Jour de la Victoire, c’est-à-dire le 9 mai, les sanctions seront plus sévères: amendes majorées, détention plus longue, peines de travaux plus lourdes avec interdiction d’exercer ensuite certaines fonctions.

Comment le PCFR (Parti commnuniste de la Fédération de Russie) justifie-t-il la nécéssité d’une telle loi ?

C’est le plus intéressant. D’après ses auteurs, le problème est que l’article du Code pénal sanctionnant les offenses aux sentiments des croyants « ne s’étend pas à la croyance dans le bien et dans la justice, idéaux pour lesquels se sont battus les vétérans de la Grande Guerre Patriotique ». Autrement dit, on propose d’élever la façon de présenter la guerre de 1941-1945 au statut de religion, et de punir ceux qui offensent les sentiments des « croyants ».

Que veut dire « outrage aux sentiments des vétérans » ? Y a-t-il des exemples ?

Oui, nous pouvons trouver un exemple dans les explications qu’avancent les auteurs pour défendre leur proposition. Ils proposent de considérer comme offense aux sentiments des vétérans le fait de dire que ce sont les autorités soviétiques qui sont responsables du crime de Katyn. Rappelons que sous cette expression « crime de Katyn », on entend l’exécution par balles, au printemps 1940, de 22 000 officiers polonais par le NKVD, la police politique soviétique. A partir de 1943, la propagande soviétique a accusé les Allemands de ce crime, mais la responsabilité du pouvoir soviétique est aujourd’hui clairement établie. Ces preuves ont même été reconnues au plus haut niveau par les autorités russes.

Citation du texte explicatif des auteurs de la proposition de loi : « Il n’y a pas très longtemps, en 2010, la Douma a adopté une déclaration sur « La tragédie de Katyn et ses victimes », dans laquelle la responsabilité de l’exécution par balles d’officiers polonais est attribuée au côté soviétique. Cela revenait pratiquement à confirmer la version des événements fabriquée à l’époque par le ministre nazi de la propagande, Goebbels. Cette déclaration contenait en outre des attaques offensantes et dénuées de tout fondement à l’égard des institutions et du gouvernement de l’URSS. »

Il ne reste que très peu de vétérans. En quoi une loi visant spécifiquement un outrage fait à cette catégorie est-elle nécessaire ?

C’est une bonne question. En réalité, la législation russe actuelle est loin de ne considérer comme vétérans que ceux qui ont effectivement participé à la guerre. Le statut de « vétéran de la Grande Guerre Patriotique

 » est attribué à tous ceux qui ont participé à des opérations militaires impliquant l’URSS, depuis la guerre civile des années 1918-1922 jusqu’à l’incident militaire de 1969 avec la Chine sur le lac Jalanachkol. De cette façon, le nombre des « vétérans »est assez élevé.

La proposition de loi sera-t-elle adoptée ?

Nous l’ignorons. Certains signes semblent indiquer que la proposition de loi ne passera pas en première lecture, d’autres suggèrent le contraire…

Arguments contre : le gouvernement a donné un avis défavorable à la proposition de loi. Il souligne à juste titre que les infractions sont caractérisées de façon extrêmement vague, donc que le risque existe que les tribunaux traitent les affaires de façon très différente. En outre, il existe déjà dans le Code pénal des articles permettant de punir les personnes accomplissant de tels actes. L’article sur la réhabilitation du nazisme, par exemple, interdit « la diffusion d’informations délibérement offensantes pour la société sur les jours de gloire de l’armée et les dates mémorielles de la Russie liées à la défense de la patrie, ainsi que les outrages commis en public à l’encontre des symboles de la gloire militaire de la Russie « . Pour la dégradation de monuments, on peut invoquer plusieurs articles, par exemple ceux qui concernent le vandalisme ou le houliganisme.

Cette proposition de loi s’inscrit très certainement dans le cadre de la campagne électorale : le 18 septembre est un jour unique d’élections pour plusieurs scrutins, dont les élections législatives pour la Douma.

Arguments pour : il arrive qu’une loi soit adoptée en dépit de l’avis négatif du gouvernement. Ce fut le cas, par exemple, pour la loi sur l’emploi de mots d’argot et d’expressions grossières dans les spectacles et les medias.

Il n’est pas rare que soit adoptée une loi restant très vague sur la définition des délits ou crimes visés, par exemple la loi dont nous avons parlé sur « l’offense aux sentiments des croyants »ou encore l’ensemble des articles concernant les « extrémistes ». La Cour suprême a critiqué dans son avis le caractère superflu de l’article sur la dégradation des monuments, mais est prête à donner son feu vert à l’adoption de la loi pour peu que ses auteurs en améliorent la rédaction et en corrigent certaines erreurs techiques.

Quelles sont ces erreurs techniques ?

La proposition de loi en comporte un assez grand nombre. Par exemple, les auteurs proposent d’introduire dans le Code pénal le nouvel article sur l’offense aux vétérans sous le numéro 148, alors qu’il existe déjà un article 148, celui qui interdit l’offense aux sentiments des croyants. Mais c’est peut-être un simple problème de typographie.


 Auteur: Non Indiqué.

Traduit du russe par Jacques Duvernet.

Source: « Как будут наказывать за оскорбление чувств ветеранов0 ? ».

Publié dans Meduza le 8 Septembre 2016.

Source Photo: Wikipédia.

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