Quels scandales sont les plus suivis par les citoyens ?

La majorité des citoyens voit dans les arrestations de fonctionnaires une mesure opportuniste à la veille des élections.

Il ressort d’une enquête du centre Levada [1] que 69% des citoyens ont entendu parler des arrestations qui ont eu lieues à la direction du Comité d’enquête de la Fédération de Russie (SKRF) [2], ainsi que des perquisitions opérées au Service des Douanes de la Fédération de Russie (FTS). La majorité des  sondés est convaincue que la corruption est un mal endémique dans le pays, mais ils ne sont que 19% à penser que la lutte contre la corruption est réellement engagée.

Les experts expliquent ceci par la défiance des citoyens envers les institutions de l’État : la population est exaspérée d’apprendre que des millions de roubles avaient été retrouvés dans des boites à chaussures au domicile du chef du Service des Douanes, mais elle n’a pas encore perdu ses illusions sur le pouvoir en place.

La majorité des personnes interrogées par le centre Levada est au courant des arrestations de responsables du SKR sur le soupçon de corruption. Le 19 juillet, les agents du FSB ont interpellé et placé en détention Mikhaïl Maksimenko (responsable de la Sécurité interne du Comité d’enquête), Aleksandre Lamonov (adjoint au chef de la Direction générale des enquêtes du Comité d’enquête) et Denis Nikandrov (adjoint au chef de la Direction générale des enquêtes du Comité d’enquête pour Moscou). Ils sont soupçonnés d’avoir reçu un million de dollars du « parrain »  Zakhari Kalashov (alias Chakro le Jeune) [3]. Dans leur majorité les citoyens sont également au courant des perquisitions opérées le 26 juillet au Service des Douanes et au domicile du chef de ce service, Andreï Belianinov, qui a été révoqué le 28 Juillet par le Premier ministre Dmitri Medvedev. Les sondés sont 13% à « suivre attentivement » le développement des évènements au SKR et au FTS, tandis que 56% « en ont entendu parler ». Les 31% restants ont été informés de ces affaires retentissantes de corruption par les enquêteurs. Pour 72% des interrogés, « la corruption, les malversations et l’abus de l’autorité détenue à des fins personnelles sont des phénomènes symptomatiques de la dégradation du pouvoir russe ; 17% considèrent qu’il s’agit de cas isolés, et 11% sont indécis.

Pour 44% des citoyens, les perquisitions et les arrestations effectuées visent avant tout à frapper l’opinion, à démontrer à la veille des élections législatives et présidentielles [4] que « la guerre à la corruption est déclarée ». Selon l’avis de 24% des Russes, ce sont en fait les échos de règlements de compte entre hauts fonctionnaires en lutte pour des zones d’influence. Seuls 19% pensent qu’une « lutte sérieuse a commencé contre la corruption au sein de l’appareil étatique », et 13% n’ont pas d’opinion sur les scandales de corruption au sein du SKR et du FTS.

Selon l’opinion de Denis Volkov, sociologue au centre Levada, le scepticisme de ceux qui ne croient pas que la corruption soit effectivement combattue s’explique par leur conviction que les gens intègrent la fonction publique avant tout afin de « se remplir les poches » ; ce que confirme entre autres le fait que le scandale de corruption le plus retentissant de ces dernières années – l’affaire « Oboronservis [5] » – n’a débouché sur aucune poursuite [6]. D’ailleurs, estiment les Russes, les scandales de corruption n’affectent en rien la côte de popularité du pouvoir et les résultats des élections. Selon lui, les millions dénichés chez Andreï Belianinov dans des boîtes à chaussures, les tableaux anciens et la collection de montres trouvés dans son hôtel particulier provoquent la colère des citoyens, mais « ne remettent pas en question la légitimité du pouvoir ».

De son côté, Kirill Kabanov, responsable du Comité National anti-corruption [7], est sûr que les Russes ont été amenés, par un maniement adéquat de l’information, à penser que la lutte contre la corruption n’est qu’un faux semblant. « Les gens pensent que l’on peut la vaincre en un jour, mais ils ne connaissent pas le système de résistance de la corruption qui se met en place aujourd’hui », a-t-il noté. « Tout cela démontre le haut niveau de défiance des citoyens envers le pouvoir et leur apathie : ils n’ont plus confiance dans les mécanismes de l’État ».


[1] NdT: Le Centre Levada est une organisation russe indépendante de recherches sociologiques et de sondages. Lien vers le site du Centre Levada: ICI

[2] NdT: Le Comité d’enquête de la Fédération de Russie est l’organe principal d’enquête de la Fédération. Il a été institué en Janvier 2011 par un décret du président de la Fédération de Russie.

[3] NdT: Zakhar Kalashov, alias « Chakro Molodoï », « Chakro le Jeune », est considéré comme le roi du monde criminel russe. « Voleur dans la loi » [« вор в законе » en russe] est un terme du jargon russe qui désigne les autorités des milieux criminels (rtbh.com).

[4] NdT: Le 18 Septembre 2016 auront lieu les prochaines élections des députés à la Douma.

[5] NdT: Entreprise créée pour assurer, en qualité de sous-traitant, des opérations de maintenance et d’approvisionnement pour le compte du ministère de la Défense.

[6] NdT: En 2012, Anatoli Serdioukov, ministre de la Défense, a été limogé par Vladimir Poutine suite à un scandale de fraude lors de la vente de biens publics. (lecourrierderussie.com)

[7] NdT: Le Comité National anti-corruption a été crée en 1999 par un groupe de 49 personnalités publiques et politiques russes (wikipédia.com).

Auteur: Sergueï Goriachko.

Traduit du russe par Marie-Clarté Delisle.

Source: « Граждане наслышаны о громких делах ».

Publié dans Kommersant le 10 aout 2016.

Source Photo: Wikipédia.

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