Gare Voronej

Cette année encore, nous célébrons dans tout le pays un anniversaire étrange : l’insurrection d’octobre 1993, il y a maintenant 23 ans. L’Histoire s’est rangée, bien sûr, du côté des vainqueurs, ceux qu’on a qualifié d’insurgés, tandis que les vaincus, eux, considèrent l’événement comme une attaque pure et simple du parlement par des blindés. A l’époque, la majorité des gens se sont contentés d’être spectateurs, sachant que quand les chefs se battent, ce sont les sujets qui en font les frais.

Néanmoins, notre société compte également des citoyens actifs sur le plan politique et capables d’apporter des réponses simples aux questions compliquées, voire même prêts à répondre aux questions que personne ne leur a posées.

Le 3 octobre dernier, plusieurs d’entre eux se sont rassemblés dans un parc de la ville de Voronej, au pied de la statue dédiée au célèbre poète Yvan Nikitine. Pour les personnes présentes, deux questions figuraient à l’ordre du jour : l’ouverture d’une enquête sur les événements d’octobre 1993 et l’attribution des pleins pouvoirs au Président Poutine.

Il en est ainsi dans notre pays : en politique, le militantisme est souvent synonyme d’irrévérance. Et la fusillade qui a eu lieu à Moscou il y a 23 ans trouve justement sa cause dans la bêtise des deux entités centrales qui tenaient alors les rênes du pays – le Président et le Soviet suprême – qui s’étaient appropriés tellement de pouvoir qu’ils en avaient oublié d’exercer leur devoir le plus élémentaire comme, par exemple, celui d’assurer la défense des citoyens.

Au lieu de remplir leurs fonctions, l’un et l’autre avaient trouvé bien plus important de se disputer pour savoir qui serait le chef a et ont ainsi tout naturellement provoqué une guerre civile à Moscou.

Il est ressorti de cette dispute que le plus puissant d’entre eux était celui qui savait se faire obéir (…). Beaucoup se souviennent de l’appel du vice- président Alexandre Routskoï adressé à ses amis de l’armée de l’air pour qu’ils bombardent le Kremlin et ses occupants. Les pilotes avaient alors refusé d’obéir à son appel, tandis que les tankistes, eux, ont obéi à son adversaire Boris Eltsine et ont tiré au canon sur le Parlement, sur la Maison Blanche .

Quand la peste s’abat sur vos deux maisons, peu importe laquelle est blanche et laquelle est rouge.

Et c’est ainsi que prit violemment fin le règne du Soviet suprême et, avec lui, celui du pouvoir soviétique. Une fin violente à l’image de son avènement au début du XX-ème siècle, alors que le soviétisme était entré dans l’Histoire dans un bain de sang.

Il est bon de rappeler que, lors de la prise de la Maison Blanche, non seulement aucun des députés qui s’y était réfugié n’avait été tué, mais aucun d’entre eux n’avait même été blessé. Il y avait néanmoins bien eu des morts et des blessés mais du côté de la population.

Je me souviens de cet élu de Voronej qui aimait exhiber au grand public sa chaussure trouée d’une balle en guise de souvenir de cette « bataille » pendant laquelle il avait été à « un cheveu » de perdre la vie. Il est fort possible que cet élu ait tout simplement trouvé et ramassé cette chaussure par terre après la fusillade et la capitulation du parlement, ou bien cette chaussure était-elle peut-être vraiment la sienne, qui sait ?

Tout ça a finalement peu d’importance. Ce qui est important, c’est que l’expression « être à un cheveu de perdre la vie » n’était déjà plus une métaphore dans notre pays, mais bel et bien une situation réelle et quotidienne, et ce, depuis les années 80. Cette violence qui n’était, au début, réservée qu’à certaines parties isolées aux frontières de l’empire, s’est ensuite répandue jusqu’au cœur de la capitale.

Cette guerre civile, qui a commencé en 1918, puis s’est essoufflée avant de recommencer de plus belle 70 ans après, a conduit des citoyens, poussés par des considérations idéologiques, à s’octroyer le droit de tuer leurs prochains, leurs propres compatriotes.

Dans cette histoire, le Soviet suprême, dont faisait partie ce député à la chaussure percée d’une balle, n’a rien fait pour venir en aide à ceux qui se faisaient massacrer. Et le Président avec ses tanks, lui non plus, n’a rien fait. Tous étaient trop occupés à leurs querelles de pouvoir.

Aujourd’hui, ce type de querelle n’a plus lieu d’être en Russie. Tout le monde sait bien qui est le chef depuis des années. A quoi lui servirait-il de se voir attribuer les pleins pouvoirs alors qu’il parvient déjà à passer outre la Constitution en installant un régime où le pouvoir se transmet de façon héréditaire ?

D’après moi, les événements d’octobre 1993 nous ont montré que le droit n’est pas forcément du côté de ceux qui commandent les tanks, et ce, malgré ce qu’en pense une certaine partie de la société.


Auteur: Guerman Poltaïev.

Traduit du russe par Julia Fèvre.

Source: « Воронеж. Минус советская власть ».

Publié dans Vremja Voroneja le 04 octobre 2016.

Source Photo: Wikipédia.

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