Tomsk
Un habitant de Tomsk a réussi à retrouver les noms des bourreaux staliniens qui ont tué son arrière-grand-père.
Denis Karagodine a mené sa propre enquête et compte à présent traduire en justice tous ceux qui ont pris part à la condamnation et à l’exécution de son parent, les participants directs mais aussi les membres du Politburo et Staline lui-même.

Pour Stanislav Koutcher, journaliste de « Kommersant -FM », il s’agirait d’un événement de portée historique qui aurait des conséquences politiques sérieuses.

Souvenez-vous de ce nom : Denis Karagodine de Tomsk, 34 ans. Si la Russie parvient un jour à se débarrasser véritablement de son héritage stalinien, ce ne sera pas grâce à ses dirigeants politiciens ou à ses intellectuels mais grâce à des citoyens-patriotes comme lui, à des héros solitaires qui se seront un jour promis de retrouver les meurtriers de leurs proches et auront tenu leur promesse.

Denis a réussi à faire ce que personne n’avait réussi jusqu’ici, ni à l’époque soviétique ni à l’époque actuelle.

Il a mené sa propre enquête pendant 4 ans et a identifié les noms de tous ceux qui ont monté les fausses accusations et ont participé à l’arrestation et à l’exécution des soi-disant protagonistes de « l’affaire de Harbin », notamment son arrière-grand-père, un paysan, Stepan Ivanovitch Karagodine. Sa liste compte plus de 20 personnes, à commencer par les initiateurs de « La Grande Terreur » au Kremlin et en allant jusqu’aux exécutants et même jusqu’à ceux que Denis Karagodine appelle « les complices », comme par exemple les chauffeurs des « corbeaux noirs » [1].

Malgré toutes les difficultés rencontrées dans ses démarches auprès du FSB (ex-KGB), Denis a réussi à réunir une impressionante documentation et à obtenir surtout en novembre dernier la pièce principale du dossier – l’ordre du NKVD de Tomsk de fusiller 36 personnes dans la journée, dont son arrière grand-père. A présent, tous ces documents avec les noms et des photos sont disponibles en ligne sur le site ouvert par Denis Karagodine.

Au début, lorsqu’il s’est lancé dans cette entreprise, en 2012, personne ne croyait qu’il aboutirait dans ses recherches. A présent, personne ne croit au succès de la seconde partie de sa démarche : Denis entend obtenir l’ouverture d’un procès contre la vingtaine de protagonistes et contre Staline pour crime de masse avec préméditation. Il fait valoir que tous les éléments juridiques d’un tel procès, tous les documents, sont réunis.

J’imagine que beaucoup d’entre vous êtes sceptiques et vous vous dites: « Certes, il a identifié les meurtriers de son arrière-grand-père mais qui faut-il être de nos jours pour espérer faire établir, officiellement, avec l’aide des autorités, que celui à la gloire de qui on s’apprête à ériger des monuments est un criminel ?

Eh bien, il faut être très têtu, avoir un cerveau sain, non polué par le soviétisme et savoir ce que l’on fait et pourquoi on le fait.

L’arrière-petit-fils du paysan exécuté comprend très bien qu’on va lui refuser d’ouvrir un procès et pourquoi. Mais il estime à juste titre que le temps travaille pour lui. Et il sait que son exemple a déjà donné des idées à d’autres qui auraient voulu connaître la vérité sur la disparition des leurs mais ne croyaient pas que cela fut possible. Autrement dit, que son action en justice contre les commanditaires au Krémlin et les exécutants sur place du meurtre de son arrière grand-père ne sera pas la dernière.

Imaginez une seconde que des dizaines, des centaines, des milliers de gens suivent l’exemple de Denis Karogodine dans tout le pays.

On a beaucoup parlé de déstalinisation et de la responsabilité de Staline. Mais personne jusque là n’avait imaginé lancer des poursuites judiciaires, code pénal en main, contre le régime de Staline lui-même, pour le meurtre d’un proche.

Qu’un garçon intelligent de la nouvelle génération propose ainsi une réponse à la question du « bon ou du mauvais » Staline est très symbolique et me fait croire à l’humanité. L’histoire de l’arrière-grand-père de Karagodine est un excellent sujet de film sur le vrai patriotisme. Je suis sûr que le Ministère de la Culture ne regrettera pas son argent s’il le subventionne.

Denis Karagodine a reçu une lettre de la petite fille d’un des « tchékistes » [2] impliqués dans le meurtre de son arrière-grand-père. Dans sa lettre, la petite fille de Nicolaï Zyrianov remercie Karagodine pour son enquête qui a permis d’identifier tous ceux qui ont participé à l’exécution de son arrière-grand-père et lui demande pardon.

« La tâche des générations à venir est de ne pas cacher les faits » écrit-elle.  » Toutes les choses, tous les évènements doivent être nommés par leur nom et le but de ma lettre est de vous dire que grâce à vous je connais maintenant cette page honteuse de la vie de ma famille et que je suis entièrement de votre côté » .

Dans sa réponse, Denis Karagodine remercie Julia pour sa lettre et lui tend la main de la réconciliation:

« En ma personne vous ne trouverez pas un ennemi ni un revanchard. Je suis simplement quelqu’un qui veux mettre un point final une fois pour toutes à ce bain de sang discontinu de notre histoire».


[1] NdT: nom donné aux fourgons qui emmenaient les personnes arrêtées par le NKVD.

[2] NdT: membre de la Tchéka ou police politique.

Auteur: Stanislav Koutcher.

Traduit du russe par Vera Bedon.

Source: « Как герой-одиночка Сталину за прадеда отомстил  ».

Publié dans Arsenevskie Vesti le 23 Novembre 2016.

Source Photo: Wikipédia.

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