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Le 11 novembre (2016), un an après le début d’une série de manifestations contre le système Platon, les chauffeurs routiers reprennent leur action en organisant des manifestations dans plus de 25 villes, de Moscou à Oulan-Oudé.

On se souvient que le 11 novembre 2015 des milliers de conducteurs de camions avaient entrepris de bloquer les routes en clamant : « Non au rançonnement », « Platon n’est pas notre ami ». Dans la vallée de la Kama, dans les régions de Sverdlovsk et de Tchéliabinsk, dans le district autonome de Yougra et ailleurs encore, les actions avaient suivi à peu près partout le même schéma : les camions s’arrêtaient sur les grands axes, ne laissant de libre à la circulation que la voie de gauche.

Une semaine plus tard, les 18 et 19 novembre vint une opération escargot : les routiers parcouraient les routes à la plus petite vitesse autorisée possible. Dans nombre de localités importantes, le trafic en fut partiellement paralysé. C’est ce jour-là que la Douma d’État avait commencé à discuter de la suppression du système Platon.

Ensuite on vit des colonnes entières de camions marcher sur Moscou, des tentatives furent faites pour bloquer la rocade de contournement de la ville, les files d’attente s’allongèrent sur les parkings bordant les voies d’accès à la capitale, ainsi que des dizaines d’autres initiatives moins spectaculaires. Mais le système Platon est resté, tandis que les routiers, après cinq mois d’attente sur les parkings, sont rentrés chez eux.

Continuons à ne pas payer

Pour l’anniversaire du début de l’un des mouvements sociaux les plus importants de ces dernières années dans le pays, les camionneurs russes se sont retrouvés pour manifester. Mikhaïl Kourbatov, l’un des animateurs de l’Organisation des transporteurs de Russie (OTR), nous a informés des actions en cours et des changements intervenus suite à la mise en service de Platon.

– À Moscou, les protestataires se sont postés sur le pourtour des aires de stationnement où nous avions déjà manifesté l’année précédente. Pour ne pas se mettre en infraction, ils se tiennent à 50 mètres les uns des autres. Ils se retrouvent au café, sous prétexte de boire le thé, pour discuter de la suite à donner au mouvement. Le mouvement touche une trentaine de villes, pour l’essentiel des villes où existent des sections de l’OTR.​

Et partout cela prend la forme d’alignements immobiles de camions ?

– Pas du tout. Il y a des villes où les autorités ont quand même délivré des autorisations de manifester ; dans certaines ont eu lieu des meetings et des rallies, ou même la combinaison de plusieurs de ces initiatives.

Depuis presque un an que Platon est entré en vigueur, comment désormais vivez-vous et travaillez-vous ?

– Nous sommes restés cinq mois sans rouler. En mai, nous avons repris le travail, mais je n’ai pas fait enregistrer mon camion. Nous travaillons sans Platon.

Et comment les routiers se passent-ils de Platon ? Ils risquent des amendes…

– Et alors ? Je n’en tiens pas compte. Notre organisation avait déjà agi ainsi précédemment. Les amendes ne parviennent pas à ceux qui n’ont pas fait enregistrer leur véhicule, puisqu’il n’est pas dans la base de données. Au début, dans leur grande majorité, les routiers s’étaient fait enregistrer, croyant alors que c’était obligatoire. Simplement, ils n’avaient pas installé l’appareil, mais leurs données étaient dans le système. Du coup, ils se sont vu infliger des amendes.

Et vous, personnellement, qui circulez sans Platon, vous ne recevez pas d’amendes ?

– Absolument pas ! Jusqu’à présent, j’ai fait deux fois le trajet jusqu’à Vladivostok, en traversant tout le pays, et pour le moment je n’ai reçu aucun avis.

Et où en sont, au point de vue finances, ceux de vos collègues qui paient les taxes ? De combien ont augmenté les coûts de transport ?

– Justement, les coûts de transport n’ont pas bougé. Il a pu y avoir des cas isolés de distributeurs qui ont fait supporter Platon à leurs acheteurs. Peut-être la hausse est-elle passée inaperçue ; toutes les marchandises augmentent, pas seulement en raison de l’inflation, mais pour cette raison également. La plupart des routiers maintiennent les mêmes tarifs, mais leurs frais ont grimpé à cause de Platon.

À votre avis, les nouvelles actions de protestation aboutiront à quelque chose ?

– Nous escomptons qu’on arrivera au moins à stopper la hausse des tarifs. Mais en fait, ce qui nous intéresse, ce n’est pas que les tarifs augmentent ou pas ; tout ce qui nous intéresse, c’est que Platon disparaisse ! Pas tellement parce que ça représente un supplément de coût pour le consommateur alors qu’on est déjà en pleine crise. Mais parce que, si Platon a rapporté quelque 16 milliards de roubles à l’Etat et que 10 milliards ont servi à l’entretien des routes , l’entreprise gestionnaire de Platon a encaissé 10,6 milliards de roubles, ce qui fait que Platon a coûté 4 milliards de roubles au budget de l’Etat. Ce système est absolument inefficace ! Voyez en revanche par exemple l’augmentation d’un rouble des taxes sur le diesel et de deux roubles sur l’essence ; elle a rapporté 40 milliars de roubles, et cela sans aucune dépense, sans frais d’installation de portiques, sans frais de personnel ou d’intermédiaires à rémunérer ; c’est tout bénéfice pour les caisses de l’État. C’est pourquoi nous avions dit que la mesure avait été équitable et efficace alors que Platon est inefficace et ne sert que des intérêts privés, ceux d’une société privée qui a décidé de rançonner les transporteurs routiers.

Platon en chiffres

Le ministère des Transports n’en a pas moins proposé d’augmenter les tarifs du système Platon à partir du 1erfévrier 2017. Ce à quoi les industriels ont vivement réagi en interpellant, début novembre, le vice-premier ministre pour le dissuader de toucher aux tarifs, en faisant valoir qu’une telle mesure n’était pas justifiée et qu’elle entraînerait une augmentation des prix de l’ordre de 3 à 10%.

Le ministre des Transports, se basant sur un premier bilan du fonctionnement de Platon, a déclaré que le passage à ce système n’avait pratiquement pas eu d’incidence sur les prix. Le litre de lait, par exemple, ou le kilo de légumes n’avaient pas augmenté de plus de 10 à 20 kopecks.

Un autre ministère, celui du Développement économique, a fait valoir, chiffres à l’appui, que « dans l’ensemble, on n’avait pas constaté de modification sensible de la structure des transports de marchandises de plus de 12 t après le 15 novembre 2015   ». Mais qu’en revanche, les entreprises avaient fait état d’une augmentation des coûts de transport par camions de 12 t, allant de 0,5% à 25%, et même dans certains cas jusqu’à 46%.

En outre, seuls 650 000 poids lourds sur plus d’un million et demi se sont enregistrés à ce jour dans le système. Ce chiffre serait plutôt de 770 000 d’après la Direction des routes, mais cela ne représente toujours que la moitié des véhicules concernés . En outre, beaucoup des transporteurs enregistrés ne paient pas, même aux tarifs actuels.

Platon et le Daghestan

Les protestations les plus vives contre Platon sont venues des routiers du Daghestan, une région où, traditionnellement, une grande partie de la population gagne sa vie avec le transport de marchandises : la frontière avec l’Azerbaïdjan est à portée de main, et c’est par là que passent en Russie les fruits et les légumes.

D’après Sourkhaï Alimirsaev, patron d’une entreprise de transports, beaucoup de camionneurs, depuis un an que Platon est en service, ont commencé à vendre leur véhicule.

– Pour certaines marchandises, les coûts de transport ont augmenté de 30 à 50%, et pour d’autres non. Par exemple, les sociétés qui commercialisent les bouteilles d’eau nous paient 29 000 roubles pour un trajet Krasnodar-Moscou. Or, nos frais approchent les 50 000 roubles.Nous n’allons quand même pas courir les routes à perte. Par contre, les tarifs du transport des fruits et légumes ont été revus à la hausse.

Et qu’est-ce que vous avez l’intention de faire ?

– Beaucoup envisagent de se séparer de leur camion. Moi aussi je ne vais pas tarder à revendre la moitié de mon parc, soit cinq véhicules. Le gazole est cher, les pièces de rechange sont chères, et les routes ne sont pas meilleures.


Auteur: Non Indiqué.

Traduit du russe par Robert Giraud.

Source: « Протесты и «Платон»: «Дороги лучше не стали » ».

Publié dans Krim. Reali le 12 novembre 2016.

Source Photo: Natacha Girard.

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