Province Russe: Iouri Bouïda

Entretien avec Iouri Bouïda,

sur la province russe

Iouri Bouïda a publié depuis 1992 de nombreux livres en Russie où son œuvre jouit d’un grand prestige. Plusieurs de ses ouvrages ont été traduits en français, Le train zéro, Yermo, Potemkine ou le troisième cœur et La fiancée prussienne (Ed. Gallimard). Le recueil de nouvelles Epître à Madame ma main gauche a été publié aux éditions Interférences.

Comment se développe la province russe ? Le développement sensible dans les grandes villes du pays est-il le même dans les villes et les villages de province ?

La province russe est bien entendu un peu en retard par rapport à Moscou mais ces 10/15 dernières années, elle a beaucoup évolué. Je parle ici de la Russie centrale, plus précisément des régions de Riazan et de Vladimir.

La hausse des revenus a amené des milliers de gens à abandonner leurs potagers dans lesquels ils produisaient des fruits et des légumes qu’ils achètent maintenant dans les magasins ou sur les marchés.

Les retraites ont sensiblement  augmenté et maintenant non seulement les retraités mettent de l’argent de côté en cas de malheur, mais ils aident aussi leurs enfants et petits-enfants, tout en étant très économes – entre 500 et 700 roubles de dépenses par semaine (à Moscou, avec cette somme on ne peut se rendre au magasin qu’une fois).

Dans les villes anciennes ou dans les villages, on voit beaucoup de maisons à l’abandon mais à côté d’elles, on en bâtit de nouvelles. Aujourd’hui, la province russe est un immense chantier. À Touma, petite ville de la région de Riazan (2.000 habitants), toutes les entreprises de l’époque soviétique ont fermé leurs portes. Mais dans la rue principale il y a 17 magasins de matériaux de construction. La population est devenue beaucoup plus mobile. Des milliers de personnes, ouvriers, médecins, chauffeurs de taxis, marchands, partent travailler à Moscou ou dans d’autres grandes villes. D’autres font des affaires depuis leur domicile. Si, il y a dix ans, à Kasimov on ne voyait que des autos VAZ, aujourd’hui ce sont plus des voitures japonaises, américaines, allemandes ou françaises et assez souvent des modèles de luxe.

Tout cela ne veut pas dire que la province connait enfin le bonheur de vivre. Beaucoup de problèmes subsistent. Dans les provinces, l’évasion fiscale est devenue en quelque sorte un sport national. Les milliers de nouveaux paroissiens qui fréquentent les églises orthodoxes représentent plutôt un tribut payé aux traditions qu’un renouveau de la foi. On compte sur le pouvoir, sur le budget de l’État, et on a la nostalgie du père tout puissant. Mais ces tendances caractérisent surtout les personnes âgées, les retraités. C’est parmi eux également qu’il y a le plus d’ivrognes. Les plus jeunes boivent, me semble-t-il, beaucoup moins car cela nuit aux affaires. La province s’est mise en marche et elle va sa route sans se préoccuper de ses dirigeants. Elle a maintenant ses propres riches, des gens qui y font autorité, de nouvelles sociétés qui, dans quelques années peut-être, interviendront dans les affaires du pays ainsi qu’en politique. Si cela se produit, alors se lèvera en Russie un grand mouvement conservateur qui défendra farouchement les valeurs traditionnelles et un pouvoir central fort, capable d’assurer la stabilité du pays.

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