Au revoir, datcha…

Je ne vois pas ce qu’un citadin peut bien faire l’été en ville. Deux jours de repos. Quatre murs (et même s’il y en a plus, c’est triste de toute façon), l’agitation domestique…. Dans la rue, le grouillement des passants, la bousculade dans les transports, l’éternelle course contre la montre, la poussière, le bruit. Sous les pieds, des mégots à perte de vue, que des fumeurs mal embouchés n’ont même pas cherché à éteindre…

La datcha est loin de la ville. Loin de l’agitation et des mégots. On s’y rend en train de banlieue, et tout au long du voyage ce ne sont que discussions : sur la datcha, bien sûr. La jambe noire [1] a pris le dessus. Le gel a tué le germe. La carotte n’est pas sortie… On commence par se plaindre, puis on partage les bons tuyaux. Gratis. On s’y connaît, et le désir est ardent d’aider les malchanceux.

Je me souviens du printemps 1957 - j’habitais alors en Russie centrale -, quand je vis débarquer des gens, le dos chargé de planches, de matériaux de construction, de sacs remplis de choses et d’autres, d’outils. C’était l’aube de l’ère de la datcha. Khrouchtchev venait d’autoriser les citadins à utiliser des petits lopins de terre (de 4 à 6 ares) pour cultiver fruits et légumes. Cela s’appelait le « Programme de ravitaillement de la population » ; celle des villes principalement, car les villageois possédaient leurs propres lopins, et les kolkhozes réservaient encore un terrain pour fournir en foin leur bétail privé.

Aussi qualifiait-on les terrains à datchas de « champ d’abrutis ». Les résidents locaux, à qui l’on pris des terrains où ne poussaient que des pommes de terre pour les transformer en datchas, ne cachaient pas  leur hostilité vis-à-vis des nouveaux venus. Mais les citadins ne laissèrent pas tomber. Ils trimaient tous les soirs, tous les week-ends, par familles entières. Quatre à six ans plus tard, lorsqu’ils commencèrent à ramener des seaux pleins de tomates, de pommes, de baies, l’expression de « champs d’abrutis » était sortie des esprits : les datchniki [2] venaient de clouer le bec à leurs voisins goguenards qui n’avaient pas appris à faire pousser autre chose que des patates, des carottes ou des oignons…

À la datcha, comme toujours, il y a beaucoup à faire. Et il n’est pas question de changer quoi que ce soit. Ici, toute culture implique des techniques spécifiques. À chacune son calendrier! Il faut sans cesse - plusieurs fois par an! – combattre les maladies, faire la guerre aux mauvaises herbes… Et cela, sans compter ses propres maux! Mais disons-le franchement, la datcha les apaise tous. La tension, les douleurs lombaires : tout guérit.  Il commence à pleuvoir? Pas de quoi en faire un plat : on enfile un ciré, et c’est parti pour le sarclage. D’ailleurs, les mauvaises herbes sont plus faciles à arracher quand la terre est humide, les racines ne se cassent pas…

Et puis il y a encore les à-côtés de la datcha. La forêt, où l’on cueille herbes et champignons… Les tapis bigarrés, qui ravissent les yeux, apaisent les nerfs, et font s’envoler nos soucis…

Sans oublier le monde des oiseaux. Les étourneaux nous égayent au printemps. Leur saison venue, les rossignols font leurs vocalises, surtout la nuit. Quels concerts! Enfin le craquètement des cigognes qui s’envolent, laissant derrière elles leur terre natale, nous perce le cœur. C’est qu’il annonce la fin de la saison des datchas. Les récoltes sont faites. Le programme gouvernemental de ravitaillement de la population est exécuté. L’hiver est proche. Il est temps de dresser des plans pour l’année suivante. La vie continue!

Au revoir, Datcha… A bientôt !!


[1] NdT: Maladie de la pomme de terre.

[2] NdT: Habitants des datchas (c’est-à-dire les citadins propriétaires de maisons secondaires).

Auteur: Valerii Nikolaïev.

Traduit du russe par Sarah et Églantine Cubas.

Source : « До свидания, дача… »,

Tioumenskie Izvestia, publié le 24 octobre 2015.

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