L’habitante la plus âgée de Kyzyl, Anastasia MikhailovnaVinokourova, a eu 100 ans le 8 mars [1] dernier. Pendant la Seconde guerre mondiale, elle a travaillé à l’usine textile Marina Raskovaqui confectionnait des manteaux destinés aux soldats de l’Armée rouge.
Anastasia Mikhaïlovna regarde toujours l’émission « Des hommes et des femmes ». Elle est frappée par la cruauté de notre époque qui fait que l’on peut laisser sa propre mère sans toit, que l’on ne prend pas soin de ses propres enfants ou qu’on use de violence à leur égard. Elle se souvient des épreuves par lesquelles les personnes de sa génération sont passées: les répressions, qui ont coûté la vie à beaucoup de gens biens, la terrible guerre et la reconstruction économique héroïque de l’après-guerre.
Les parents d’Anastasia Mikhaïlovna, des paysans pauvres, sont arrivés en 1919 du district de Karatouz dans la région de Krasnoïarsk, à la recherche d’une vie meilleure. Elle avait alors trois ans. Ils travaillaient dans les mines. Ensuite, ils ont vécu à Fédorovka, dans le district de Kaa Hem [2].
Le mari d’Anastasia est mort au front. Elle ne s’est pas remariée. A la mort de sa sœur cadette, Praskovia, elle s’est chargée de l’éducation de son fils Boris, qui avait cinq ans. A la mort de ce dernier, en 2005, elle a vécu avec sa bru, Valentina Nikolaïevna. Elle considère que c’est grâce aux soins et au dévouement de celle-ci qu’elle a vécu si longtemps. Valentina sait quand et quel médicament lui administrer pour sa tension et suit toutes les prescriptions du médecin. Cela fait 45 ans cette année que son fils lui a présenté pour la première fois sa future femme. Depuis, Anastasia Mikhaïlovna a eu deux petits-enfants, Olga et Vladimir, deux arrière-petits-enfants, Ira et Nastia, deux arrière-arrière-petits-enfants, Egor et Rouslan, et un arrière-arrière-arrière-petit-fils, que l’on appelle familièrement Sania et qui n’a pas encore un an.
Valentina Nikolaevna s’est occupée de sa belle-mère, qui avait alors 80 ans, après que celle-ci ait été renversée par une voiture. C’était en 1996. Sa belle-mère était allée à la datcha pour cueillir des fleurs pour l’anniversaire de sa bru. Les deux femmes se souviennent de cet accident jusqu’à aujourd’hui non sans effroi. Anastasia Mikhaïlovna avait eu alors plusieurs fractures et une sévère commotion cérébrale. Sans compter de fortes souffrances physiques. A cause de ce conducteur, avec lequel il fallut livrer de longues batailles judiciaires, elle est devenue invalide et son espace vital s’est réduit aux murs de sa maison natale, où elle se déplace uniquement avec l’aide d’un déambulateur.
La mémoire d’Anastasia Mikhaïlovna garde fidèlement les souvenirs de son passé. Elle se souvient de son travail à l’usine textile portant le nom d’une héroïne de l’Union Soviétique, Marina Raskova, où elle est arrivée en 1937 comme apprentie et qu’elle a quittée comme directrice après y avoir travaillé dix ans. Au cours des années de guerre, l’usine a livré 15000 manteaux aux soldats de l’Armée rouge envoyés au front.
A l’époque, on ne commémorait pas le 8 mars, mais dans l’atelier, on savait que c’était l’anniversaire d’Anastasia ce jour là et tout le monde l’accueillait d’un « Bon anniversaire ! » lorsqu’elle arrivait, et certains voulaient même la porter sur leurs épaules en son honneur comme une héroïne. Les collègues formaient une équipe sympathique, fraternelle, exclusivement féminine. Seuls le comptable et deux tailleurs russes [3] étaient des hommes. Et il y avait encore un tailleur qui était un jeune homme de Touva. Et travailleur avec çà, blagueur, se souvient Anastasia Mikhaïlovna. Tous l’estimaient.
Elle-même était une ouvrière modèle, consciencieuse, exigeante, responsable et énergique.
Par la suite, elle sera libérée des ses fonctions de directeur et envoyée à l’école du Parti de la région. A l’issue de sa formation, elle sera affectée au Comité régional du Parti en qualité d’instructrice auprès des femmes, en compagnie de Tamara Tchach Oolovna Norbou. Puis, on l’affectera au département industriel.
Anastasia Mikhaïlovna a été abonnée à la Pravda de Touva pendant plusieurs décennies. A présent, elle n’est plus abonnée, mais elle demande toujours à sa bru de lui acheter le dernier numéro. Elle aime boire le thé dans une choppe ornée de l’Ordre du Mérite, comme elle en est décorée.
C’est elle même qui a reçu ses invités le jour de son centième anniversaire, avec son sens habituel de l’humour.
» Je suis contente que l’on ne m’oublie pas. »
Étaient venus la féliciter l’adjointe au maire, Nina Potanova, ainsi que des représentants du ministère du travail et du service social de la municipalité. Les uns avec des fleurs, les autres avec des cadeaux… chaleureux sous la forme de couvertures et surtout, avec une lettre de félicitations personnelles du Président Poutine qui évoque son parcours professionnel : « Chère Anastasia Mikhaïlovna, de tout mon cœur je vous adresse toutes mes félicitations pour votre jubilé. Nous sommes sincèrement fiers de la génération de la Grande Guerre Patriotique [4] qui a eu sa part de grandes souffrances mais aussi de grands triomphes. Vous n’avez jamais craint les difficultés et toujours cru en l’avenir. Par votre ardeur au travail, vous avez contribué à la richesse et à la puissance de notre pays. Je vous adresse tous mes vœux de santé et de vitalité de l’esprit. »
A son tour, Anastasia Mikhaïlovna, la Pravda de Touva, votre compagne depuis de nombreuses années, vous adresse ses félicitations à l’occasion de ce magnifique jubilé et ne peut que vous souhaiter une excellente santé et de nombreuses année encore à vivre.
Pour nous, la qualité le la plus importante que vous possédiez, c’est l’amour de vos concitoyens.
[1] NdT: Journée de la Femme.
[2] NdT: en République de Touva.
[3] NdT: C’est-à-dire non originaires de Touva.
[4] NdT: Appellation de la Seconde Guerre Mondiale en Russie.
Auteur: Elena Tchadamba.
Traduit du russe par Fabien Laurençon.
Source: « Жизнь долга, если полна ».
Publié dans Saït Goroda Kyzyla le 10 mars 2016.
Source Photo: Wikipédia.
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