Bonne année 1937?!

La lecture du projet de loi sur la police suscite de sombres pensées [1]. Le projet de loi sur la «police» qui doit remplacer celui sur la «milice» de 1991 est soumis au débat public.

La loi devrait entrer en vigueur en janvier 2011.

A vrai dire c’est avec ironie que j’ai débuté sa lecture. Finalement qu’on les appelle les menty, les cop, les polizei ou même gardes rouges, ce sont les mêmes. A ce qu’il paraît cela va sérieusement changer. L’ironie s’est vite estompée.

Une lecture approfondie de la loi montre que sa ratification se soldera par une restriction  des droits et libertés publiques tels que garantis par la Constitution (habeas corpus, inviolabilité du domicile et de la propriété privée, droit à la vie privée…etc.). Il sera particulièrement intéressant de connaître l’appréciation que portera la Cour Constitutionnelle, qui est censée être garante de la Constitution.

Malgré l’assurance  solennelle d’après laquelle  «la police mène ses activités dans le respect des droits et des libertés des citoyens, de leurs intérêts légitimes ainsi que de leur dignité» (art.5), la loi traite essentiellement non pas des droits des personnes qu’elle devrait défendre, comme elle le fait dans n’importe quel pays normal, mais de la façon dont elle peut se comporter au regard de ces droits.

La lecture du projet de loi donne l’impression que le document n’a  pas été écrit par des juristes. Il est impensable qu’une loi, a fortiori une loi concernant  une institution qui a vocation à assurer l’ordre, comporte des  expressions telles que «autres restrictions», «sauf dans le cas où ce n’est pas possible ou inapproprié», «s’il y a des raisons de penser que», «sous réserve de disposer de suffisamment d’informations», «doit s’efforcer» etc. À vrai dire, le texte en vigueur sur la lutte contre la corruption contient des expressions de ce genre, lesquelles ont tendance à se généraliser.

Et si les juristes qui ont rédigé ce projet de loi n’étaient pas incompétents mais auraient volontairement utilisé des locutions indéterminées et polysémiques de façon à pouvoir les manipuler plus facilement? L’existence de nombreuses zones de flou juridique, de notions indéfinies et de tournures imprécises permet aux détenteurs de l’autorité d’interpréter les articles comme bon leur semble.

L’article 13 (Les droits de la police) est caractéristique. Il permet en substance à la police de faire ce qu’elle veut avec les citoyens même s’ils sont respectueux des lois. Bien entendu cela n’est pas directement stipulé mais  les expressions précédemment évoquées l’autorisent par exemple à :

- appréhender une personne qui n’a pas ses papiers  d’identité sur soi (art.13, al.2), à la mettre en garde à vue si elle est sans  papiers (art.13, p.14). Conclusion:  ayez toujours vos papiers sur vous.

- confisquer les papiers d’identité d’une personne en prétendant qu’ils sont faux (art.13, al.20).

- surveiller et intervenir dans les activités commerciales (art.13, al.4 et11).

- interdire tout attroupement ou rassemblement sous prétexte qu’il perturbe la circulation des piétons et des moyens de transport (art.13, al.7).

Si elle le juge utile, la police peut notamment limiter la circulation (art.16, al.2).

- fouiller ou simplement palper une personne, « si elle a des raisons de penser que celle-ci est recherchée » (art.13, al.19). Bien entendu sous réserve de disposer de «suffisamment» d’informations».

- faire irruption dans une maison (art.19, al.31). À cet égard, on peut dire qu’une partie du document est écrite de façon détaillée et, si l’on veut, avec amour (Article 15 sur la pénétration (l’intrusion) dans les logements et autres locaux, ainsi que dans les cours et jardins).

- mettre une personne sous surveillance et sur écoute (art.13, al.38).

- inciter à devenir des indicateurs ou des collaborateurs rémunérés ou pas (art.13, al.39).

- confisquer un téléphone portable (art.13, al.41).

Encore une fois je tiens à souligner que ce texte  ne concerne pas les délinquants  mais les citoyens ordinaires respectueux des lois.

Pour le cas où les rédacteurs du texte auraient omis une disposition permettant aux «défenseurs de l’ordre» d’agir en toute liberté, l’article 13 précise in fine que la police jouit de « tous autres droits  que lui confère la législation fédérale ».

La lecture des autres articles ne remonte pas le moral.

Il est évident qu’à la suite de l’adoption de cette loi, le milicien patriarcal sera remplacé par un professionnel polyvalent. On sait que, dans pas mal de cas, des psychiatres qualifiés ont du mal à déceler des signes de troubles de la personnalité… Le policier avisé, lui, s’acquittera de cette tâche avec aisance et enverra l’intéressé au dépôt en attendant son transfert dans une clinique spécialisée (la durée de détention n’étant pas précisée) art.14, al.1,11.

C’est ce même article (art.14, al.4) qui dispose que les prévenus ne peuvent pas se faire assister d’un avocat lors de leur arrestation mais seulement après avoir été placés dans des locaux prévus à cet effet (dans une cellule on présume). D’ailleurs ils peuvent  être également interrogés  dans un couloir.

La section 5 réglemente (mieux vaut dire autorise) le recours à la force et aux armes létales et non létales. Là, les policiers ne sont pas tenus de prévenir de leur emploi s’ils estiment cet avertissement «inapproprié». Alors qu’une sentinelle doit crier « arrêtez ou je tire » puis effectuer un tir de sommation, le policier, lui, en est dispensé. (art.19, al.2)

On relèvera avec intérêt les dispositions de  l’article 21 sur l’emploi de moyens spéciaux à l’encontre d’individus ayant commis une infraction administrative (traverser une rue en dehors du passage piéton, égarer son passeport, fumer dans les lieux publics, etc.).

Pour de tels «crimes», la police peut  recourir à un large éventail de moyens: de la matraque jusqu’au gaz lacrymogène en passant par le «taser». Dieu merci, l’usage de chiens, de canon à eau et de véhicules blindés n’est pas permis en cas d’infraction administrative (art.21, al.2,3 et10). C’est déjà bien assez avec les moyens énumérés.

L’article 22 doit sûrement rassurer les potentiels contrevenants car il interdit de porter des coups de matraque à hauteur de la tête et des parties génitales (art.22, al.2.1), ainsi que d’utiliser des armes incapacitantes à l’égard des femmes enceintes, des personnes handicapées et des mineurs (art.22, al.1,1). Un tel humanisme donne envie de verser une larme.

Les personnes participant à une manifestation pacifique non autorisée  (donc pas à celles vantant le régime) doivent savoir que le canon à eau ne peut pas leur pulvériser une eau d’une température inférieure à 0 degré Celsius (art.22, al.2,3). Comme on l’a vu, une gêne de la circulation peut justifier le recours à ce moyen. (…)

L’article 23 autorisant la police à ne pas ouvrir le feu est particulièrement réjouissant. Imaginez que ce droit ne leur ait pas été octroyé: T’as tué personne, tu reçois un blâme.

L’article 24 autorise les policiers à faire usage de leur arme contre tout individu  dès lors qu’ils estiment que «son comportement donne à penser qu’il risque de recourir à la force ou de s’emparer de leurs armes». A ce compte,  n’importe quel comportement,  par exemple un geste brusque, peut être interprété comme une menace.

N’exigez donc pas d’un policier qu’il vous présente ses papiers. Il est obligé de vous les présenter mais peut aussi le refuser s’il n’est «pas en mesure de le faire» (il les a oubliés à la maison) ou s’il le juge  «inapproprié» (il n’a pas envie) (art.9, al.4).

Le projet de loi est agrémenté d’un message que l’on pourrait appeler: « la police est infaillible ». Par définition, aucun de ses actes ne peut être qualifié d’illégal du moins au moment de son exécution. « Les actions et réquisitions menées par les agents de police sont considérées comme légales jusqu’à ce la preuve contraire soit apportée, dans les règles prescrites par la loi » art.31al.2. (…)

Il est entendu que le contrôle sur les activités de la police est exercé par des instances publiques. Cette question est examinée en détail à l’article 9, alinéa 9  de la loi (bien qu’il y soit davantage question de collaboration que de contrôle).

En même temps, il est écrit noir sur blanc à l’article 7, alinéa 12 qu’un fonctionnaire de police… ne peut pas être tenu par des décisions d’un parti politique, d’une association publique ou d’une organisation religieuse.

Ainsi, l’objectif principal  de ce projet de loi est de faire de la police une institution totalement indépendante des lois et de la société pour la subordonner aux seuls organes  du pouvoir. Tout le monde risque d’être victime d’une bavure policière. Ne vous semble-t-il pas que l’adoption de cette loi, en l’état actuel de sa rédaction, équivaut  à un coup d’État qui ferait de notre pays un ÉTAT FASCISTE?


[1] NdT:   Bien que datant de 2010, cet article nous a paru mériter d’être mis en ligne en raison à la fois  du sujet traité et de l’intensité du débat public qu’il reflète.

Auteur: Valeri Krestianinov.

Traduit du russe par Mehdi Benmeghrouzi.

Source: « С новым, 1937, годом? ».

Publié dans le Saratovskie Novosti le 13 septembre 2010.

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