Des gays chez les Cosaques ?

Un groupe de militants cosaques essaie d’interdire un festival LGBT dans le Kouban. Mais les belliqueux patriotes ignorent où il doit se tenir.

Des cosaques du Kouban, des nationalistes russes et quelques fonctionnaires du Kraï de Krasnodar appellent à interdire le festival LGBT « Mer noire 2016 » prévu pour le début de juillet. Dans une pétition diffusée sur le site Change.org, ils mettent en garde les participants : un « accueil chaud » les attendra. Des militants LGBT ont déjà reçu des menaces : ils seront reçus « comme Navalny », allusion à l’agression menée récemment à l’aéroport d’Anapa par des personnages en uniforme cosaque contre des collaborateurs du FBK, le « fonds de lutte contre la corruption » fondé par Alekseï Navalny.

Le site officiel des réseaux LGBT russes a fait savoir que « Mer noire 2016 » doit avoir lieu du 7 au 10 juillet. Après celle de l’an dernier, qui s’était déroulée sans incidents, c’est la deuxième rencontre de ce genre dans le Kouban. Au programme : manifestations sportives, « master class » de jiu-jitsu et de yoga, forums d’informations et d’explications, chasses au trésor, feux de camp avec guitares et chansons.

Les organisateurs ont choisi de ne pas indiquer sur les groupes ouverts des réseaux sociaux le lieu de l’événement, afin d’éviter des affrontements avec les adversaires du mouvement LGBT. Mais on sait que, comme l’an dernier, le festival se déroulera « dans un endroit pittoresque, sur la rive de la Mer Noire ».

Le 21 juin a été publiée sur la plate-forme Change.org une pétition adressée au procureur du Kraï de Krasnodar Leonid Korjinsk, au préfet de police de la région Vladimir Vinievski et au métropolite Isidore Kiritchenko leur demandant d’interdire le festival LGBT.

« En permettant la tenue d’un tel événement sur notre terre, nous nous condamnons nous-mêmes. Nous marquons la fin de tant d’années de respect de la famille traditionnelle, nous trahissons tout ce pour quoi nos ancêtres se sont battus, nous trahissons notre mode de vie traditionnel. Et si nous permettons à cet événement de se tenir, il n’y aura plus de retour en arrière possible. Le Kouban est le coeur des traditions du sud de la Russie. Pour nous, morale, famille, traditions ne sont pas des vains mots. Un festival LGBT sur notre terre, sur cette terre que nos ancêtres ont défendu avec leur sang, ce serait une honte pour chaque habitant de notre région », s’indigne l’auteur de la pétition, un certain Ivan Romanov.

On ne connaissait pas jusqu’à présent dans le Kouban, parmi les opposants au mouvement LGBT, de personnage répondant à ce nom. Les véritables initiateurs de la pétition, qui a recueilli à ce jour environ 1500 signatures,  se sont sans doute cachés derrière un nom fictif. Quels que soient les auteurs, ils demandent dans leur texte aux organes de surveillance et de maintien de l’ordre, mais aussi, curieusement, au métropolite de l’Église orthodoxe d’interdire le festival « Mer Noire 2016 », de faire toute la lumière sur son financement et sur d’éventuels liens avec des « organisations étrangères hostiles ». Ils suggèrent également de « vérifier la santé et l’équilibre psychique des organisateurs de l’événement, et, en cas de déviance constatée, de les hospitaliser pour qu’ils subissent un traitement contraint »; ils proposent enfin « d’interrompre la diffusion publique d’informations concernant la tenue de ce festival dans les médias et les réseaux sociaux ».

Un détail curieux que les signataires de la pétition ignorent sans doute :  selon une information publique, le fondateur de la plate-forme Change.org, Ben Rattray, a lancé son site après avoir appris que son frère était gay mais avait peur d’en parler ouvertement. Le responsable de la section locale du réseau LGBT Alekseï Korolev comprend bien les véritables motifs des auteurs de la pétition mais rappelle que le festival précédent s’est déroulé paisiblement, malgré quelques tentatives de ses adversaires pour le saboter.

- Les accusations formulées contre le festival sont tout à fait absurdes, elles ne  révèlent que la faiblesse de ceux qui les profèrent. Je n’exclus pas qu’il puisse s’agir d’une action télécommandée, d’une atteinte délibérée aux intérêts de la région de Krasnodar dans le domaine du business touristique. Mais je suis absolument certain que les organisateurs sauront prendre toutes les mesures nécessaires, comme l’an dernier, pour assurer la sécurité du festival. De mon côté, j’ai adressé au procureur de Krasnodar une requête à propos des agissements de ces messieurs, et j’attends de l’État une réaction appropriée et proportionnée face à une telle incitation à la haine contre la communauté LGBT. Nous sommes un peuple d’honnêtes gens, la région est pluri-ethnique, nous sommes habitués à respecter la spécificité personnelle de chacun, et il ne peut pas en être autrement dans notre région de villes d’eaux et de stations balnéaires. Selon certains indicateurs, nous talonnons déjà Saint-Pétersbourg  pour ce qui est de la tolérance : il y a trois organisations LGBT dans le Kraï de Krasnodar, c’est un chiffre élevé dont seules de grandes métropoles peuvent se flatter !

Alexandre Topalov, un consultant politique connu dans la région, ancien commissaire régional de l’organisation « Nachi » (« Les nôtres »), assure cependant que « les organisateurs ne réussiront pas à installer quelque camp que ce soit ».

- Je sais ce qu’est le club LGBT « REVERS », l’un des organisateurs du festival : c’est, disons…, un ramassis de marginaux qui ne savent pas très bien eux-mêmes à laquelle des innombrables variantes de gays, de lesbiennes et de transgenres ils doivent se rattacher. Ils ont attendu l’été, ont « invité au bord de la mer » leurs congénères d’autres régions et ont décidé ensemble de transformer cela en événement exceptionnel en l’appelant « camp LGBT ».

Alexandre Topalov estime que la cause des agressions contre « Mer Noire 2016 » réside justement dans ce désir des organisateurs de se donner le plus de publicité possible.

- S’il n’y avait pas eu un tel forcing à propos de ce camp dans les médias et les réseaux sociaux, il n’y aurait pas eu de pétition « contre ». Les gens ne tiennent pas spécialement à savoir où se déroulent de tels événements. Si celui-ci doit réellement se tenir, on peut vraiment s’interroger sur le bons sens des organisateurs… Il était difficile de trouver un « meilleur » endroit que l’une des régions les plus conservatrices du pays !

Mais le forum LGBT bénéficie à Krasnodar du soutien de la section locale de PARNAS (« Parti de la liberté du peuple »). Son responsable Leonid Zaproudine l’a dit sans ambages :

- Notre parti reconnaît la liberté de déplacement et de réunion comme un droit intangible des citoyens. J’espère que les organes chargés du maintien de l’ordre défendront la communauté LGBT pendant le temps de cette manifestation dans le Kraï de Krasnodar. Et en m’adressant aux Cosaques, je voudrais leur dire que nous comprenons leur identité ethnique et culturelle. Mais en même temps, nous attendons d’eux qu’ils respectent aussi l’identité d’autrui, qu’elle se fonde sur la sexualité ou sur le genre.

En dépit des appels à l’apaisement, les atamans de plusieurs communautés rurales (représentant plus de 400 villages) ou urbaines et les représentants des forces armées cosaques du Kouban ont présenté à l’administration du Kraï de Krasnodar une requête pour obtenir l’interdiction du camp LGBT « en terre cosaque ». Parmi ceux qui pour la deuxième année militent contre ce rassemblement, on trouve le dirigeant du comité « Présomption » pour la défense des droits nationaux, le chansonnier et docteur en théologie Albart Gayaman.

- L’an dernier, nous avions tenu des réunions et prévu un meeting, mais les représentants des autorités sont venus me voir pour me demander instamment d’y renoncer. Ils m’avaient donné leur parole qu’aucun festival n’aurait lieu. Mais quelques semaines après, les réseaux sociaux ont annoncé la tenue du festival. Il a même été protégé par une société de gardiennage. J’ai interpellé officiellement les représentants du ministère de l’Intérieur dans le Kraï, et j’ai reçu une réponse officielle : « Selon le monitoring opérationnel des événements qui se sont déroulés dans le Kraï de Krasnodar pendant la période envisagée, aucun rassemblement ayant lieu dans le cadre d’un « premier festival touristique LGBT ‘Mer Noire’ n’a pu être observé ». Qui croire ? »

Au demeurant, Nina Soloviova, militante du réseau LGBT et l’une des organisatrices du festival, souligne que l’événement se déroulera sur un terrain privé et que personne n’est en mesure de l’interdire légalement. « Donc ils peuvent faire toutes les pétitions qu’ils veulent, cela ne sert à rien », assure-t-elle.


Auteur: Andreï Kochik.

Traduit du russe par Jacques Duvernet.

Source: « Атаманы ищут геев, чтобы прогнать ».

Publié dans Radio Svoboda le 23 juin 2016.

Source Photo: Wikipédia.

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