Comment financer les réfections

Le Premier ministre Dmitri Medvedev a laissé récemment entendre que l’État renoncerait finalement à son programme relativement peu efficace de rénovations immobilières pour passer à d’autres pratiques. Hier, le Parquet général a été plus loin : il a considéré que cette façon d’imposer des contributions à la population était contraire à la Constitution. Le dossier a été transmis à la Cour constitutionnelle, ce qui fait que les gens se trouvent  dans l’incertitude : ils ne savent pas ce qui les attend et à quoi seront affectées les sommes déjà collectées au cas où les Fonds de financement seraient supprimés.

Ainsi, le Premier ministre a lancé une nouvelle idée : l’État pourrait autoriser le financement des grosses réfections par des prêts bancaires à des taux préférentiels qui seraient remboursés par les locataires et les propriétaires des logements. Ces versements serviraient ainsi à rembourser des prêts destinés à la rénovation du parc immobilier au lieu de s’accumuler dans les Fonds de financement.

Dans ce système, a précisé  D. Medvedev, l’État prendrait à sa charge une partie des intérêts des emprunts, ce qui reviendrait à subventionner partiellement les travaux. Ceux-ci  pourraient ainsi être effectués plus rapidement et les intéressés pourraient ensuite rembourser tranquillement les sommes dues, au même rythme que dans le schéma précédent.

Ces déclarations ont donné lieu à divers commentaires : les spécialistes de différents horizons ont de nouveau fait valoir que les Fonds de réfection, tels qu’ils sont conçus actuellement, risquent fort de s’avérer inutiles. Surtout si l’on tient compte des scandales qui ont entaché leur fonctionnement durant toute l’année écoulée dans différentes régions de Russie. Mais qu’adviendra-t-il des sommes déjà collectées, et qui sera responsable de l’argent déjà dépensé, si tout le mécanisme est remis en question ? La question demeure en l’état. Voici simplement quelques pistes de réflexion sur les bizarreries des fonds existants.

Des contributions « volontairement obligatoires » ?

Conformément à ses statuts, le Fonds de réfection de la région  de Krasnoïarsk (à l’instar de celui des autres régions) est « une organisation sans but lucratif, créée juridiquement sous la forme d’un fonds alimenté par la contribution foncière de son créateur dans les buts stipulés par les présents statuts ». Selon la loi, les contributions destinées à tout fonds sans but lucratif ont un caractère rigoureusement volontaire, et on ne peut pas conclure de contrats avec un tel fonds.

Par ailleurs, le Code du logement de la Fédération de Russie fait obligation aux propriétaires immobiliers de verser des contributions mensuelles pour la réfection des parties communes des immeubles de logements. Et il existe une organisation créée spécialement pour collecter ces contributions, mais sur une base exclusivement volontaire. Les deux lois se contredisent donc, et personne ne voit d’issue à cette impasse juridique. Mais la collecte des contributions continue.

Un fonds qui peut gagner de l’argent

Les statuts susmentionnés indiquent les diverses sources auxquelles les fonds peuvent s’alimenter. Celles-ci ne se réduisent pas aux seules contributions des propriétaires de biens immobiliers. Les fonds peuvent exercer une activité entrepreneuriale « dans la mesure où elle sert à atteindre les objectifs qui sont les siens » (ce qui est bien vague). Ils peuvent également toucher des dividendes sur leurs dépôts bancaires, recevoir des subventions budgétaires, des crédits et ressources diverses.

Un fonds qui peut dépenser de l’argent

Ce faisant, les statuts précisent bien que les sommes collectées auprès des copropriétaires ne peuvent être utilisées que pour financer les gros travaux de réfection. Par contre, les revenus de l’activité entrepreneuriale du Fonds peuvent être affectés à d’autres fins, en particulier servir à couvrir les frais administratifs et les dépenses de fonctionnement. Vous vous rendez compte des perspectives que cela ouvre ! Le tout est de savoir présenter les choses. En effet, d’après les statuts, un fonds peut posséder des équipements, des locaux, des installations, des comptes en roubles et en devises, et tout cela a besoin d’être financé, il suffit d’ouvrir son portefeuille.

Et en cas de liquidation ?

Si le fonds est liquidé sur décision judiciaire, « tous les biens demeurant après règlement des dettes sont utilisés par la commission de liquidation pour effectuer de grosses réfections des parties communes des immeubles situés dans le territoire de Krasnoïarsk ». Et s’il s’avère que le fonds n’a ni biens, ni argent pour, disons, restituer les contributions collectées, c’est le responsable subsidiaire, autrement dit, le budget du territoire de Krasnoïarsk, qui y sera de sa poche. C’est-à-dire, pour être clair, les contribuables. Ce qui mérite notre attention, c’est que la loi sur les fonds sans but lucratif stipule bien que l’initiateur  du  fonds ne saurait être tenu personnellement responsable, y compris financièrement, des engagements pris par le Fonds. Ce qui veut dire que les statuts du fonds, là encore, sont en contradiction avec la loi : encore une impasse juridique.

Personne n’est responsable

En revanche, les statuts (comme dans les autres régions) du Fonds de réfection de Krasnoïarsk ne précisent pas la responsabilité du directeur général du Fonds. En théorie, s’il s’acquitte mal de sa tâche, s’il fait la culbute, on ne pourra s’en prendre à personne. Le Fonds sera liquidé, ses biens distribués, mais ses dirigeants resteront blancs comme neige. On peut néanmoins se demander à qui profitent de pareils opérateurs régionaux, dont les statuts contredisent d’autres lois sur plusieurs points et dont le responsable échappe si facilement aux responsabilités.

Et maintenant, la cerise sur le gâteau : le Parquet général n’est pas satisfait, lui non plus, de la situation. Pour commencer, c’est un groupe de députés de la Douma d’État qui a déposé une plainte concernant la question du versement des contributions aux fonds de réfection. Les parlementaires ont contesté l’argument du gouvernement  selon lequel l’assemblée générale des copropriétaires est en droit de créer son propre fonds et que ceux qui n’auront pas approuvé cette décision seront censés avoir accepté tacitement de verser leurs contributions à ce fonds. Les parlementaires considèrent que le silence ne saurait ici valoir consentement. Mais les ministères ne les suivent pas. Le ministère de la Justice a déclaré que ces contributions n’enfreignent pas la loi, étant donné que l’obligation de payer les dépenses de grosses réfections incombe à tous les propriétaires d’un immeuble et répond à leurs intérêts. Le ministère n’a pas admis non plus l’avis des députés selon lequel les contributions pour grosses réfections représentent un impôt illégal : les impôts vont au pot commun du budget, tandis que les dites contributions ne peuvent financer que des travaux de réfection.

Le ministère des Finances a considéré que les contributions pour grosses réfections servent à couvrir les dépenses des entreprises chargées des réfections des immeubles, dont l’entretien incombe aux propriétaires des locaux, et ces contributions, à la différence de l’impôt, ne rapportent rien au contribuable.

Le Parquet général, par contre, a relevé des irrégularités et fait connaître son opinion à la Cour constitutionnelle. Le document indique que la norme contestée ne spécifie pas les montants et les délais d’utilisation des ressources financières, et qu’elle ne précise pas les modalités de leur remboursement. Qu’elle peut créer une situation telle que les propriétaires de locaux ne pourront disposer des sommes versées sur le compte de l’opérateur. Ce qui peut conduire à une violation de la Constitution. L’examen de l’affaire par la Cour constitutionnelle est prévu début mars. On verra bien ce qui en sortira.


 Auteur: Sofia Belobrovka.

Traduit du russe par Robert Giraud.

Source:  » Идея капремонтов трещит по швам « ,

Publié dans Sevodniachnaya Gazeta le 24 février 2015.

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